jeudi 26 juin 2008

Ouverture

Genèses

L'étiquette de mon pull me gratte. Autant l'enlever, de toute façon il fait assez chaud en cette après midi de printemps. Nous sommes tous réunis à l'étage. Etonnement, pas un bruit ou presque dans les rangs. On a fermé les volets pour gagner un peu d'obscurité, mais les volets sont à claire voies alors la pénombre n'est pas aussi profonde que souhaitée. Seul parvient le bruit caractéristique de l'appareil diapo. Je ne sais pas qui sont ces jeunes exactement. Des anciens élèves peut-être. Ils viennent nous faire part de ce qu'ils ont vécu en coopération. Ils sont partis deux ans enseigner quelque part en Afrique, j'ai perdu le nom du pays. A la fin, on applaudit. Et on nous demande si parmi nous certains seraient intéressés pour partir un jour à l'étranger. Beaucoup de mains se lèvent. Comme mes camarades, je ne me rends pas très bien compte de ce que ce cela représente de partir à l'étranger ni dans combien de temps on sera assez grand pour le faire. Cela ne nous empêche pas de lever fièrement la main. Nous sommes en quatrième.


 

L'épidémie a été rapide. Je n'y ai pas échappé : j'ai la rougeole. La moitié de l'internat des secondes-troisièmes est touché. J'ai gagné une petite semaine de vacances chez moi. On m'a mis en quarantaine. Je passe ma journée devant la télé. Je zappe sur la cinquième. C'est alors que je découvre « le fleur de Lampaul ». C'est un ancien navire à voile qui a été réhabilité et qui a pour mission d'emmener des jeunes découvrir le monde. Je deviens accro ! et oui, il y a eu une vie avant prison break ! Toute la semaine je ne loupe aucune émission. Par la suite, j'ai enregistré les émissions que je regardais le vendredi soir en rentrant de l'internat. J'ai terriblement envié ses gamins qui avaient cette chance incroyable d'aller découvrir le mode de vie de tribus dans la forêt amazonienne.


 


 

« Que reste t-il quand il ne subsiste plus rien? »

Il y a dans l'évangile un épisode que l'on appelle le « jugement dernier ». Jésus parle à ses disciples de la venue du Fils de l'Homme. Quand il viendra, il se placera sur son trône de gloire et séparera les gens les uns des autres. Il dira à ceux qu'il désigne : « venez recevoir mon royaume en héritage car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous être venu me voir ». Alors les gens lui répondront « mais tu déconnes Seigneur ! T'as jamais été en prison ! Tu n'as jamais été nu ou malade ! » Alors le Roi leur fera cette réponse : « en vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. »

Ce que je trouve génial c'est que les actes posés pas les disciples ne l'ont pas été dans la perspective de gagner pleins de bons points pour le royaume des cieux mais au nom de la commune humanité que nous partageons. Les disciples ne se sont pas dits : « tiens, si l'on allait aider des pauvres, ça fera plaisir au Seigneur ». On retrouve quelques fois de tels arguments dans certains militantismes chrétiens. Allons aider les pauvres, c'est le Seigneur que l'on va rencontrer. Cela me semble absolument odieux. C'est faire de l'autre le moyen de mon salut ou de ma satisfaction. Or l'autre n'a évidement jamais à être vu comme un moyen mais toujours comme une fin. C'est une des bases de tout comportement moral. Tout ça pour dire que ce qui prime c'est la commune humanité qui nous rassemble et nous habite.

Voilà donc le fondement. Partir en coopération c'est pour moi aller à la rencontre d'hommes et de femmes d'une autre culture afin de découvrir la manière dont ils assument leur humanité, dont ils habitent le monde. Un décentrement de l'occident ; un recentrage sur ce qui fait notre humanité. Me vient cette question de Maurice Bellet : « Que reste t-il quand il ne reste plus rien ? Que nous soyons humains les uns pour les autres. »


 

De la Ferté Bernard à Tanlajas

Après deux années passées à la Ferté Bernard, j'ai fait la demande de partir en coopération. Je suis envoyé en VSI (Volontariat de Solidarité International) avec la DCC [pour plus d'info sur la DCC, cliquez sur le lien]. Je m'attendais à un poste d'enseignant de SVT en Afrique. On m'a proposé un poste d'animateur en pastorale au Mexique. J'avoue avoir vraiment hésité avant de donner ma réponse. Certains d'entre vous ont eu la chance de m'avoir quelques longues heures au téléphone. La prise de décision libère et fait grandir.

Je vais donc découvrir le Mexique. Un nouveau continent. Une nouvelle langue. Une nouvelle culture.


 

Quo vadis ?

Avant d'être le titre d'une marque d'agenda ou d'un roman, c'est d'abord une question : où vas-tu ? A la différence du poireau ou de la baleine à bosse, l'Homme ne peut pas ne pas se poser la question du sens (signification et direction). C'est quand qu'on va où ?

Ainsi, l'Homme marche, sans même savoir répondre précisément à cette question. Qu'est ce qui nous fait alors marcher ? La promesse. La promesse que cette marche a du sens, la promesse que jamais nous ne serons seuls. Nous avançons dans le doute et l'obscurité mais jamais seuls. Jamais sans le Christ, jamais sans ceux et celles qui nous sont donnés comme frères et sœurs en humanité. Avec au cœur cette ferme espérance : le jour viendra.

Je ne sais pas de quoi se fait demain. Je sais en revanche avoir ce besoin de vous partager ce que je vivrai.

Ce blog pour partager avec vous les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses qui seront les miennes et celles de ceux que je rencontrerai. La toile permet de tisser des liens. Je ne me fais aucune illusion sur une quelconque régularité dans la rédaction d'articles dont je me sais parfaitement incapable.

Voilà. ¡Hasta pronto !


 

dimanche 8 juin 2008

Être prof

Au terme de cette année et avant de partir, je voudrai rassembler ici quelques réflexions sur le métier d’enseignant. Professer, c’est parler devant, au devant, mais c’est aussi dire sa foi. Ces quelques lignes pour dire les raisons de ma joie d’avoir choisi l’enseignement.


Au commencement était l’étonnement
Être prof de SVT, c’est avoir la chance d’avoir pour objet d’étude la vie et la Terre. Quelque soit le thème d’étude, il est impossible de faire l’économie d’une réflexion sur le vivant. Toujours surgit la question du sens ; au-delà de la connaissance scientifique.

Le métier d’enseignant est métier de transmission. Que s’agit-il de transmettre ? Mon objectif, fixé par décret ministériel, est de transmettre des connaissances, de faire acquérir des compétences qui sont déterminées par le BO. Que retiendront-ils de leurs années de SVT ? Tel ou tel aspect, telle ou telle connaissance. Ils oublieront la formule chimique du glucose, les caractères dérivés aux groupes des hominoïdes, le principe de la sismique réfraction… et ils auront bien raison ! Cela, sauf exception, ne leur servira pas à grand-chose par la suite. Est-ce à dire qu’il est vain d’espérer qu’ils retiennent quelque chose de notre enseignement ? Je ne crois pas. Plus encore que les contenus, ce qu’ils garderont c’est la manière dont on l’a enseigné, ils en garderont un certains rapport avec la discipline (positif ou négatif d’ailleurs – J’ai toujours eu des profs nuls, la bio j’ai toujours trouvé ça inintéressant, c’est vraiment une matière que j’aimais bien…).

S’ils ne devaient garder qu’une seule chose, j’aimerai que ça soit l’étonnement face au vivant. Le travail sur le biologique ou le géologique ne cesse de faire surgir des questionnements. Il nous convoque à nous coltiner sans cesse avec les grandes questions de l’existence que le seul discours scientifique, absolument indispensable, ne peut étancher. Qu’est ce qu’un Homme ? Quelle est son origine ? C’est quoi être vivant ? Comment distinguer le soi du non-soi ? Sommes-nous totalement déterminés par nos gènes ? Peut-on accepter toutes les demandes de PMA ? Parmi les sujets du programme : la procréation. Nous avons pu développer quelques aspects de la transmission de la vie. Mais, combien même nous aurions un savoir absolu sur les premiers instants de la vie et sur le développement embryonnaire, jamais nous n’aurons fini de chercher la réponse à cette éternelle question, aussi enfantine qu’existentielle : « dis, maman, j’étais où avant d’être dans ton ventre ? »

Dans les années à venir les citoyens que seront nos élèves auront à se prononcer sur des choix de sociétés, sur des questions scientifiques ayant des implications éthiques (OGM, PMA, écologie…). Puissent-ils aborder ces questions en gardant en mémoire deux choses : premièrement, pour faire un choix éclairé et juste, il est indispensable d’avoir une bonne connaissance scientifique du sujet, deuxièmement, le critère de tout choix doit être la recherche du plus humanisant.

Au final, il ne s’agit donc pas tant de transmettre un contenu qu’une attitude. Il s’agit en quelque sorte d’armer nos élèves pour qu’ils soient capables, sans nous, de faire des choix face aux situations inédites qu’ils rencontreront.



Offrir la possibilité de commencer
Être prof, c’est donner, offrir à d’autres la possibilité, la capacité de commencer à leur tours. Offrir la joie et la possibilité des commencements.

Il y a plusieurs manières d’être prof. Il est des façons de transmettre le savoir qui sont des véritables prises d’otages, des asservissements. Il y a des transmissions égoïstes, frileuses ; transmission où l’on craint que l’élève ne dépasse le maître, où la relation prof-élève doit impérativement maintenue inégale. Dans une certaine mesure, il s’agit d’une fausse transmission qui confisque le savoir à l’autre, qui le rend dépendant de moi.

A l’inverse, il est des manières d’être prof qui sont véritablement fécondes. Transmission où l’on se réjouit de ce que l’autre accède à un nouveau savoir ; transmission qui envisage l’autre. Une transmission généreuse et désintéressée. Une transmission où le non savoir de l’enseignant est une invitation à une recherche commune, une marque de modestie et d’humilité, de grandeur. Une relation où il est vraiment donné à l’autre la possibilité de commencer, de tracer son propre chemin.
Pour résumer, si l’on veut permettre l’autre d’accéder à lui-même, nous avons à être des éducateurs et non des séducteurs. Le séducteur est celui qui mène à soi (se-ducere). L’éducateur au contraire est celui qui fait sortir de (ex-ducere), celui qui mène hors de.

Être éducateur implique, je crois, la prise au sérieux deux dimensions importantes : la justesse de la relation et le poids, le statut de la Parole.
La justesse de la relation. Être éducateur est un travail de tous les jours. Ce n’est jamais gagné. Il faut pour cela trouver un mode de relation juste avec ses élèves. Ni trop près, ni trop loin. Ni trop près, pour ne pas être indifférencié ; ni trop loin, pour ne pas être indifférent. En somme, ni dévorer, ni vomir.
Le poids de la Parole. Nous le savons l’homme est un hétérotrophe ! Il lui faut, pour se développer et renouveler les composants de son corps, se nourrir de matière organique. Mais, nous le savons aussi, l’Homme ne se nourrit pas seulement de pain ! Il se nourrit de parole. L’homme est un verbophage/ logotrophe (?). Il ne suffit pas de pondre un bout de viande pour en faire un petit d’homme. Il faut l’adopter, le parler, lui parler, le nourrir de parole. Et ceci dans un seul but : lui permettre, à sont tours, d’accéder à la parole. Une parole en JE, en première personne ; une parole qui permette l’éveil du sujet. L’enseignement est un métier de parole.

Offrir à d’autre la possibilité de commencer, de prendre à leur tour la parole implique une responsabilité, notre parole a du poids. La parole peut donner vie, elle peut tuer aussi . Dans toute question de transmission se joue quelque chose d’un rapport de filiation. La Parole donne vie, engendre, fait croître.



Êtres des hommes du guet
Être prof, enfin, c’est avoir la chance de voir grandir ses élèves, d’être les témoins privilégiés de leur croissance, de leur développement.

Nous sommes des hommes du guet. Nous sommes là pour leur faire passer le bac ! pour, avec eux, faire la traversée. Accomplir le passage, en hébreux, pessah, la pâque. Mais comme Moïse ne mettant pieds en terre promise, notre mission s’arrête à la rive. Une fois la traversée accomplie, il nous faut revenir sur l’autre rive pour pouvoir, à nouveau, avec d’autres, accomplir la traversée. Nous sommes des hommes du guet, des passeurs.