lundi 21 septembre 2009

Récit de vacances 3bis: migrations, entre ici et ailleurs



Il y a comme une fine couche de condensation sur les vitres, mais à l’extérieur. La climatisation fait de se bus un frigo ambulant, je regrette de ne pas avoir de pull avec moi. Dehors, c’est la canicule. Nous traversons une région désertique : tout n’est que roche et cactus. Par endroit quelques arbres ; au loin se distinguent des habitations.
Le film est un total navet américain, violent à souhait ; pour accompagner le tout une bande son nauséabond qui m’insupporte. Difficile pourtant, même sans le vouloir vraiment, de ne pas suivre ; j’ai bon ne pas regarder, le bruit des acteurs demeure globalement intelligible. Je prends mon mal en patience.
« Gringo ? ». Mon voisin se réveille. Je n’avais même pas prêté attention à lui. La quarantaine, blouson noir, visiblement voyageant depuis plusieurs jours ; les trois tonnes de gel aident à réprimer les tentations de dispersions capillaires.
– Ah non, français, mais j’ai l’habitude, tout le monde me prend pour un gringo.
– Les yeux.
– Oui les yeux et la peau.
– Tu fais quoi ici ?
– En ce moment, je suis en vacances, sinon je vis dans la Huastéca Potosina.
– Ah
– Et toi ? tu viens d’où ?
Silence. Son regard se perd.
– del otro lado (de l’autre côté).
Et de me raconter ses années d’errance aux US, son passage de la frontière, c’est un mojado, un mouillé (ainsi appelle-t-on ceux qui franchissent illégalement à la nage), son boulot, à Las Vegas, son petit appart ; son arrestation parce qu’il buvait une bière dans la rue ; les 3 semaines de prison avec des asiatiques, des noirs, des sud américains, d’autres mexicains aussi, évidemment. Et puis avant l’avant-veille, sa libération, côté mexicain, à Ciudad Juarez.
Le bus fait une pause, le chauffeur a faim. Nous nous arrêtons dans routier. Nous sommes au milieu de rien. Quelques uns descendent pour profiter des toilettes et se dégourdir les jambes, les autres ne semblent pas vouloir affronter la chaleur, pesante. Les chanceux, ils auront pu profiter de la dernière de viol et le final qui s’annonçait riche en hémoglobine.
Je descends avec moi voisin, je découvre alors qu’il n’est pas seul. Ils son quatre à voyager ensemble – si tant est qu’on puisse appeler cela voyager. Discussion autours d’une bière, celle-là, elle a le gout douloureux du pays mais elle n’envoie pas en prison. Les mêmes histoires, les mêmes rêvent brisés. Les amis et la famille parfois, le boulot, les biens abandonnés subitement. A l’ombre de ce toit en taule, le vent chaud qui s’est levé emporte le sable et les paroles. La même amertume au fond de la gorge, c’est amer au fond la bière.
Ils parlent un espagnol bourré d’américanismes. Les téléphones portables ne servent au moins à indiquer l’heure. D’ailleurs, c’est l’heure, le bus redémarre.
Contrairement à ses autres compagnons d’infortunes, mon voisin reste fermé et anxieux.
– Je n’ai pas prévenu ma famille. Cela fait quinze ans que j’étais de l’autre côté. Je ne sais pas où je vais. Je ne sais pas si quelqu’un va m’attendre et encore moins ce que je vais leur dire. J’ai peur.
Le type de devant qui avait suivi notre conversation s’est alors retourné pour lui prêter son portable. Mon voisin sort de sa poche un petit bout de papier avec deux numéros de téléphone. La petite voix électronique de Telmex lui indique par deux fois que le numéro n’est plus attribué.
Nous arrivons à Guanajuato. C’est là mon terminus. Nous nous saluons. Le bus repart emmenant avec lui ces quatre hommes désormais exilés en leur propre pays.

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