Seul. Me voici seul dans Oaxaca. Ma sœur et Julien ont regagné México, je demeure quelques jours à profiter de la ville : marcher, visiter, reposer ; une retraite en quelques sorte. J’ai repéré le lieu idéal : une cours intérieure d’un édifice coloniale transformé en bibliothèque et galerie d’art. Épargné du déluge des bruits urbains, mon lieu d’asile offre un cadre idéal pour une petite journée de correspondance : une dizaine de tables et des chaises en bois profitant de l’ombrage d’une treille centenaire. J’avais repéré le lieu deux jours auparavant. Maintenant que j’ai un peu de temps, je vais enfin pouvoir écrire un peu, en ce début d’année écrire mes vœux et faire le point. Ce matin là, un beau soleil inonde la ville. Il est encore tôt, enfin, c’est relatif. Après avoir « almorzé » (almuerzo : pause petit dèj à 10h du matin, le déjeuner est plus tardif, à 15h environ), de bonne humeur je me dirige vers mon refuge. Mais avant une halte s’impose dans une papeterie pour m’équiper en stylo et papier à lettre. Je demande aux passants, on m’indique le nom de la meilleure et plus grande papeterie de la ville. J’y cours. C’est en effet immense : il faut prendre un ticket à l’entrée. Rapidement le numéro 45 s’affiche sur l’écran. Je passe en caisse 15. Je choisis un stylo noir parmi les quinze ou vingt modèles exposés – elle est vraiment très bien cette papeterie. Ah oui, et je voudrais aussi du papier à lettre, s’il vous plait. Un cahier de brouillon ? Non, un bloc de papier pour écrire des lettres. La jeune fille s’enfonce dans l’un des rayons et revient avec un cahier d’écolier, papier blanc de 51 g/m². Je fais part de ma surprise et lui demande s’il elle n’a pas un grammage plus élevé (qui a dit : le chieur !). Je ne voudrais pas faire mon snob, mais écrire une lettre sur un papier de 51 g/m², c’est juste pas possible, même le papier toilette du restaurant où j’ai almorzé est plus résistant !
Je décline la proposition de la vendeuse et m’en vais, bredouille. Je fais une ou deux autres papeteries mais sans plus de résultats. J’étais tellement content et enthousiaste de pouvoir écrire « pour de vrai » que sur le coup j’ai été réellement énervé. Je dois même avoir confessé avoir assez virulemment pesté contre les mexicains. J’ai alors réalisé un truc incroyable : si ça se trouve, il n’y a pas de papier à lettre au Mexique (bon au moins dans les trois papeteries d’Oaxaca où je me suis rendu, ok la généralisation est peut être un peu hâtive).
Voilà une révélation qui m’a scotché. Mon étonnement porte sur différents points :
1. Je m’amuse de m’avoir énervé. Ben oui, je veux dire, ça serait quelqu’un qui n’aurait pas suivi une aussi bonne formation par la DCC avant de partir en coopé sur les différences culturelles ou qui n’aurait pas mon sens de la distanciation, je comprendrais. Mais moi, être capable d’oublier qu’il y a des différences entre le Mexique et la France, voilà qui est étonnant.
2. Assurément mes conditions de vie à Tanlajás sont différentes de celles que j’avais en France – encore qu’il faudrait nuancer. J’ai donc éprouvé et continue d’éprouver que la culture mexicano-tenec qui m’accueille est différente de la mienne. Il y a des choses qui existe en France et qui n’existent pas à Tanlajás et réciproquement, bien sur. Et voilà que je me laisse surprendre, et énerver de surcroit, par l’absence du papier à lettre. Des études scientifiques assez poussées ont démontré que finalement on pouvait considérer le papier à lettre comme n’étant pas essentiel à la survie, son absence ne semble donc pas en soi devoir constituer un drame.
3. Qu’on le veuille ou non, la culture dans la quelle nous baignons finit toujours par nous infiltrer par quelque pore que ce soit. Nous sommes des êtres poreux. Nous ne sommes pas étanches, « culture-proof » pourrait-on dire. Ainsi, au cours des 19 mois passé ici, j’ai intégré des éléments de la culture environnante. Ce qui hier constituait un sujet d’étonnement est aujourd’hui assimilé et intégré. Et jusqu’à ce jour, je n’avais jamais ressenti l’absence de papier à lettre comme un manque, un signe de sous développement, un scandale, une frustration.
J’ai marché à vive allure, tout énervé que j’étais, j’avais besoin d’évacuer ma colère. Je suis tombé sur une petite boutique qui vendait à peu près de tout. J’ai acheté le premier cahier à feuilles blanches que j’ai trouvé (je ne supporte pas de suivre des lignes pour écrire). Il n’était pas encore trop tard, la bibliothèque était encore ouverte, par chance presque déserte. Avec beaucoup de joie j’ai pu prendre le temps d’écrire.

Voilà un an et demi que je fais des gâteaux au pifomètre : beurre, sucre et farine à vue de nez. La semaine dernière cependant profitant d’avoir un peu de temps sur Ciudad Valles, j’ai pris le temps d’enquêter et de partir à la recherche d’un verre gradueur. Plein d’enthousiasme, je vais de boutique en boutique, sans me décourager. Enfin, une vendeuse me dit qu’elle a ce qu’il me faut. Quand elle revient de l’arrière boutique elle m’apporte un verre qui n’indique que les volumes d’eau en ml et en unités anglo-saxonnes (ils ne peuvent jamais rien faire comme tout le monde –c'est-à-dire comme moi – eux non plus !). De nouveau, je dois me rendre à l’évidence : un verre gradueur comme le mien à moi que j’ai chez moi en France, ça n’existe pas par chez moi au Mexique. Peut être le fait que les gâteaux « à la française » n’existent pas peut expliquer cela. Quand la cuisine se fait au feu de bois (comme c’est le cas dans les communautés), la question de faire cuire un gâteau au four se pose peu au final.
Je suis rentré à Tanlajás. J’ai fait mon gâteau au chocolat comme je l’ai toujours fait depuis un an et demi : au pifomètre. Et vous voulez savoir ? Ben il était super bon.